3.Benzine

Un psaume pour les recyclés sauvages - Histoires de moine et de robot, 1

"De quoi les gens ont-ils besoin ?"

 


 Becky Chambers est une autrice de science-fiction américaine née en 1985.

Après avoir étudié les arts du spectacle, elle a travaillé en tant qu'administratrice de compagnies de théâtre. Elle a été également rédactrice technique.

Autrice de nouvelles et d'essais, elle se consacre à l'écriture à temps plein depuis 2010.

Après avoir vécu en Écosse et en Islande, Becky Chambers est aujourd'hui retournée à ses racines, en Californie.

Bibliographie.

Série "Histoires de moine et de robot" 

  • Un psaume pour les recyclés sauvages Atalante, 2022 - Prix Hugo du meilleur roman court 2022 et le prix Libr'à nous 2023 (imaginaire)
  • Une prière pour les cimes timides, Atalante, 2023

serie voyageurs B

 

 

 

 

 

 

Série "Les Voyageurs" prix Hugo de la meilleure série littéraire  en 2019

  • L'espace d'un an, Atalante, 2016 - nominé pour plusieurs prix et a obtenu le Prix Julia-Verlanger en 2017.
  • Libration, Atalante, 2017  - nominé pour le prix Hugo 2017 et a obtenu aussi le Prix Julia-Verlanger en 2017.
  • Archives de l'exode, Atalante, 2019 
  • La galaxie vue du sol, Atalante, 2023 

 Les titres en gras sont disponibles dans les médiathèques du réseau.



Un psaume pour les recyclés sauvages

 

Voilà des siècles, les robots de Panga ont accédé à la conscience et lâché leurs outils ; voilà des siècles, ils sont partis ensemble dans la forêt, et nul ne les a jamais revus ; voilà des siècles qu’ils se sont fondus dans les mythes de l’humanité.


Un jour, la vie de Dex, moine de thé, est bouleversée par l’arrivée d’un robot qui, fidèle à une très vieille promesse, vient prendre des nouvelles. Il a une question à poser, et ne rejoindra les siens qu’une fois satisfait de la réponse.

La question : « De quoi les gens ont-ils besoin ? »


Mais la réponse dépend de la personne à qui on parle et de comment on pose la question.

La nouvelle série de Becky Chambers s’interroge : Dans un monde où les gens ne manquent de rien, à quoi sert d’avoir toujours plus ?



   
 

 

 


 « J’ai tout pour moi. Absolument tout. Je n’ai rien fait pour le mériter, mais j’ai tout. Je suis en bonne santé. Je n’ai jamais connu la faim. Et, pour répondre à ta question, oui, on m’aime. Je vivais dans un endroit splendide, j’accomplissais une tâche utile. Le monde que nous avons créé, Omphale, il… Il ne ressemble en rien à celui que tes originaux ont quitté. C’est un monde beau et bon. Pas parfait, non, mais nous avons résolu beaucoup de problèmes. Nous avons su construire un équilibre sain. Et pourtant, en ville, chaque jour, au réveil, je me sentais vide et… et au bout du rouleau. Tu vois ? Alors j’ai changé. J’ai pris mes cliques et mes claques, j’ai appris un nouveau métier et, par les dieux, j’ai travaillé dur. Vraiment dur. Je me disais que si j’en étais capable, si je réussissais dans cette nouvelle tâche, je me sentirais bien. Devine ? J’ai réussi. Comme moine de thé, je suis remarquable. Je rends les gens heureux. Je les aide, je les soulage. Et pourtant je continue à me sentir vide au réveil, comme si… comme si quelque chose manquait. J’ai essayé de parler à mes amis, à des membres de ma famille, et personne ne comprenait, alors j’ai arrêté d’en parler, et à force j’ai complètement arrêté de leur parler, parce que je n’arrivais pas à expliquer et j’en avais marre de faire comme si tout allait bien. J’ai consulté des médecins pour vérifier que je n’étais pas malade et que mon cerveau tournait rond. J’ai lu des livres, des textes monastiques, tout ce que j’ai pu trouver. J’ai redoublé d’efforts dans mon travail, j’ai accompli des pèlerinages dans tous les lieux qui m’inspiraient autrefois, j’ai écouté de la musique, j’ai admiré des œuvres d’art, j’ai fait du sport, j’ai fait l’amour, j’ai fait attention de dormir suffisamment et j’ai mangé équilibré, et malgré tout, malgré tout, quelque chose manque. Quelque chose ne va pas. Je devrais avoir honte, non ? Qu’est-ce qui cloche en moi ? J’ai tout ce dont je pourrais rêver, tout ce dont j’ai toujours rêvé, et malgré tout chaque journée est un fardeau. »  p.81

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Dex tournait et retournait le mug. « Ça ne te gêne pas ? L’idée qu’en fin de compte ta vie n’aurait aucun sens ?
— C’est vrai pour toutes les vies que j’ai observées. Pourquoi cela me gênerait-il ? » Les yeux d’Omphale brillaient fort. « Ne trouves-tu pas que la conscience soit une merveille suffisante ? Nous sommes là, dans un univers inconcevable par son immensité, sur une petite lune en orbite autour d’une planète ordinaire, et pendant tout le temps où ce scénario s’est déroulé, tous les composants ont été recyclés encore et encore pour former des configurations incroyables et, parfois, ces configurations sont capables de percevoir le monde qui les entoure. Toi et moi, nous ne sommes que des atomes qui se sont organisés pile poil comme il faut, et nous arrivons même à nous en rendre compte. Ce n’est pas stupéfiant ?
— Oui, mais… c’est ça qui me fait peur. Ma vie… elle se résume à ça. Il n’y a rien, ni avant, ni après. Je n’ai pas de vestiges, ni de plaque dans la poitrine. Je ne sais pas à quoi servaient mes composants avant qu’ils me forment, et je ne sais pas ce qu’ils deviendront ensuite. Tout ce que j’ai, c’est le présent, et un jour tout va s’arrêter, sans que je puisse prédire quand ça va se produire et… Et si je n’utilise pas mon temps pour en faire quelque chose, si je n’en profite pas à fond, alors j’aurai gaspillé une ressource précieuse. » Dex se frotta les yeux. « Vous, vous avez choisi la mort. Vous n’y étiez pas obligés. Vous pourriez avoir la vie éternelle. Mais vous avez choisi l’impermanence. Les humains n’ont pas choisi, et nous passons notre vie à essayer de l’accepter.
— L’impermanence, je ne l’ai pas choisie. Ce sont les originaux qui ont pris cette décision, pas moi. J’ai dû m’adapter, tout comme toi.
— Alors… Alors comment peux-tu te résigner à ce que ta vie n’ait aucun sens ? »
Omphale hésita. « Parce que je sais que je suis merveilleux, quoi qu’il advienne. » Il n’y avait aucune arrogance dans sa phrase, ni désinvolture ni vantardise. C’était une évidence, une vérité.